L'Éolienne Piggott
La source
L'histoire commence, il y a 40 ans, en Écosse, sur la péninsule de Scoraig balayée par les vents côtiers. Un paysan lassé de sa lampe à pétrole s'improvise constructeur d'éoliennes.
Après sept tentatives infructueuses, il atteint son but. Les voisins accourent pour lui demander d'en fabriquer. Il décide de diffuser les plans, d'aider les gens à construire leur propre machine.
Hugh Piggott commence alors à parcourir le monde : au Sri Lanka, en Afrique du Sud où il travaille sur la conception des AWP (African Wind Power). Il se concentre ensuite sur la diffusion de sa technologie en écrivant son premier manuel et en multipliant les stages d'autoconstruction.
Depuis 20 ans, Hugh Piggott voyage de stage en stage, affinant constamment son approche pédagogique pour accompagner des néophytes dans leur rencontre avec le vent.
Éole et alchimie
Le coeur de la démarche est placé sous le signe de la recherche de l’autonomie. La machine est conçue pour être facile à construire avec des matériaux et des outils très répandus. Le processus de fabrication est un compromis entre la quête de performance et un souci d’accessibilité au plus grand nombre. Ainsi, Hugh parle-t-il régulièrement du «forgiving design» que l’on pourrait traduire par une «conception indulgente» dans le sens où l’erreur est rarement fatale.
Il retransmet son savoir-faire sous forme de stages de construction. En cinq jours, une équipe d’une quinzaine de novices transforme des matériaux bruts pour faire éclore une éolienne qui tournera des dizaines d’années.
Une métamorphose se produit également à l’intérieur des individus ; un grand nombre de personnes qui pensent que produire son énergie est, sinon interdit, du moins une prouesse technique semée d’embûches, finissent par reconnaître que c’est plutôt agréable et à leur portée. C’est donc un acte générateur d’une satisfaction profonde largement renouvelable et parfois pérenne. Se réapproprier l’énergie, en anglais «power», consiste en quelque sorte à reprendre le pouvoir. C’est un excellent disjoncteur d’impuissance.
L’erreur est de l’or
Si vous rencontrez Hugh lors d’un stage, vous serez témoin d’une patience à toute épreuve. En désamorçant les pressions inhérentes à une réalisation collective, il installe un climat de confiance qui incite les stagiaires à mordre la matière. Cette atmosphère exorcise la peur de l’erreur. Ce qui permet de prospecter constamment de nouvelles améliorations techniques et pédagogiques.
Les grandes découvertes naissent le plus souvent d’une maladresse. Les spécialistes et les experts pétris de certitudes ont le nez dans le guidon. Leurs horizons se sont rétrécis.
Chacun des stages accouche de plusieurs machines : celle fabriquée sur place et toutes celles que les stagiaires construisent et installent à leur tour. Ils deviennent «pilotes» d’éoliennes, dont les retours d’expérience contribuent aux améliorations techniques.
Le processus coopératif de développement technique est comparable à celui des logiciels libres. L’erreur est vécue comme une opportunité d’apporter sa pierre à l’édifice. A l’inverse de la logique du brevet, et contrairement à l’inertie et à la rigidité des logiques industrielles, l’éolienne Piggott est en perpétuelle mutation.
Art is not standard
De fait, l’éolienne Piggott «standard» n’existe pas : chaque machine est un exemplaire unique. La démarche de l’autoconstruction permet une liberté d’expression qui se traduit notamment par la forme du safran, la structure du mât...
Quand une oeuvre d’art génère de l’électricité (de l’ « être excité » ?), nous avançons dans l’idée d’une création d’énergie au distingo de la notion de production. Quand les éoliennes domestiques deviennent des éoliennes de compagnie, certaines machines sont même baptisées par leurs propriétaires : Pétula, Ginette , Révolte, Zéphyra, Pétrolette, Tourlourette,...
Éoliennes héroïques
Parce qu’elles ont grand mérite à tourner incessamment, dans toutes les directions, de jour comme de nuit, sous la neige et dans les tempêtes. Le vent ne fait pas que des cadeaux. Les éoliennes sont soumises à rude épreuve.
En effet :
- La plupart des tentatives d’autoconstruction (hors Piggott) se solde souvent par des échecs.
- Une bonne partie des petites éoliennes manufacturées n’est pas fiable.
- Le fonctionnement des grandes éoliennes requiert une fréquence très élevée d’interventions pour en assurer le fonctionnement.
- Vous n’êtes pas au bout de vos surprises. Devenir pilote d’éolienne, c’est un peu comme rentrer en sacerdoce un pilote d’avion finit par atterrir et se repose avant de redécoller, une éolienne tourne quasiment en permanence. Quand vous en êtes l’auteur, votre esprit prend de la hauteur.
La stratégie participative qui implique l’utilisateur(trice) dans la construction de son éolienne est primordiale : Les machines fonctionnent mieux et plus longtemps tout simplement parce que les personnes qui les utilisent sont capables de les comprendre, de les entretenir et de les réparer. C’est la clé de voûte de cette histoire : si on se mettait à vendre des éoliennes Piggott, leur fiabilité déclinerait inévitablement.
Avoir une éolienne qui tourne devant les yeux (et dans les oreilles) procure un effet hypnotique particulièrement addictif. Lorsqu’une panne survient, quelque chose de compulsif vous incite à la réparer le plus tôt possible. Bienvenu(e)s au paradis et en enfer : tout héroïsme a ses revers.
Vendre du vent est décevant
Aujourd’hui, il est strictement impossible de gagner de l’argent avec une petite éolienne. Dans le cas d’un site isolé, avec des batteries, l’éolienne peut s’avérer rentable dans la mesure où elle se substitue à des solutions plus onéreuses : raccordement réseau, groupe électrogène... Mais en raccordant l’éolienne au réseau, les tarifs d’achat du kWh sont tellement bas que l’on ne parvient pas à amortir les coûts d’installation.
Les tarifs d’achat du kWh solaire photovoltaïque sont au moins 3 fois plus élevés. Rien, absolument rien, ne justifie cette distorsion de concurrence.